lundi 7 août 2006

24 juillet : Il faisait noir...

Les premiers souvenirs de mon existence sur Terre, quand je les revois maintenant, j'ai l'impression qu'il faisait noir...

Quand j'ai appris à faire des beateaux en papier avec ma voisine Myriam, quand j'avais 4 ans et que j'étais dans l'abri de l'immeuble, il faisait noir...

Quand j'ai entendu pour la première fois les bombardements sauvages qui ont atteint notre immeuble et que je regardais la télé avec mon frère dans le couloir de l'entrée, il faisait noir...

Quand on a fui Furn el Chebback pour aller à Sodeco (quelle idée) et quand on a tous dormi sur un matelas géant dans le salon de mes grands-parents, il faisait noir toute la journée.

Quand, pour la première fois de ma vie, je me retrouvais sur les épaules de mon père dans un rassemblement pacifique à l'été 1990 au Mathaf, et les forces libanaises nous ont attaqué, et c'est là où j'ai appris à courir sans regarder derrière moi, il faisait terriblement noir.

Aujourd'hui, et, 16 ans après, quand j'imagine de nouveau tout ce qui s'est passé depuis la semaine dernière, je ne me rappelle des choses que quand il faisait noir, tout comme les premiers souvenirs que j'ai de ma vie pratiquement, les souvenirs de la guerre.

Ce qui est sur, c'est que, si ma conscience s'est éveillée au son des bombardements, je ne pourrais par conséquent jamais les oublier, ni oublier la peur sur le visage de tante Yvette, mon autre voisine, quand un obus est passé au dessus de sa tête. Et là encore, il faisait noir tout autour d'elle...

Mes premiers souvenirs de la vie sont noirs, obscurs, pleins d'insécurité, même si je n'ai pas eu une enfance malheureuse, loin de là. Et maintenant, j'ai l'impression que quoi qu'il se passe dans notre région, les guerres et les bombardements ne cesseront de me poursuivre, qu'on ait jeté les syriens dehors ou pas. C'est plus grand que nous, c'est plus grand que tout.

C'est peut-être pour ça que je ne peux imaginer autre chose que du noir autour de ces images de destruction.

Elles me hantent à présent, en plus des images qui circulent sur le net, elle ne me permettent pas de dormir, parce que, même si j'essaie d'aider, je sais qu'au final, je n'y peux rien, et qu'il n'y que du noir qui se rabat sur nous après un moment de clarté.

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