jeudi 25 janvier 2007

Le consensualisme à l'épreuve des couleurs...

Le consensus, un bien cher concept de la démocratie à la libanaise.

Qu'est ce que la démocratie à la libanaise?

Mon cher professeur Messarra me dira que c'est une gouvernance consensuelle, qui tient d'un gouvernement consociatif, qui s'appuie le plus que possible sur le CONSENSUS. Il s'inspire de la propozdemokratie d'Arend Lijphart, un théoricien allemand.

En cours, j'ai rarement été d'accord avec ses idées, sa théorie générale, qui est quelque peu pessimiste dans la volonté de vouloir en finir avec le confessionnalisme. Pour lui (et ses arguments se tiennent) le débat n'est pas là. Pourtant, certains extraits me reviennent aujourd'hui à l'esprit en relisant dans le métro 'Le Pacte Libanais - Le message d'universalité et ses contraintes" (eh oui, dans le métro, avec mon baladeur en plus dans les oreilles), et j'aimerais essayer d'en parler.

Parmi les "moyens pour mieux immuniser la société libanaise sur les plans culturels", M. Messarra propose de réformer:

1 - la culture constitutionnelle : "les notions de consensus (wifaq watani) et d'accomodement (taswiya) doivent être au Liban dépouillées de leur contenu idéologique, laudatif ou péjoratif, en vue de favoriser une approche inspirée des recherches historiques et socio-politiques contemporaines."

2 - La mémoire collective et la contrition nationale : "C'est la contrition nationale dans l'édification des sociétés multicommunautaires qui est facteur de rationnalité, de réalisme et de solidarité.(...) Il faudra aussi développer au Liban les études comparées sur l'édification nationale, les études de psychologie historique et collective qui permettent d'exorciser les fantasmes communautaires et entreprendre des recherches documentaires sur les conflits internes dans l'histoire du Liban sur le plan, non plus des causes et des responsabilités, mais surtout du coût et du profit.(...) Le Libanais, à cause de son immédiateté et de sa primarité, risque, s'il n'a pas appris l'histoire de son pays ou s'il l'apprend mal ou déformée, de rééditer des expériences qui ont échoué et de nourrir continuellement des nostalgies et des rêves irréalisables".

3. La culture civique: Une perception géographique globale de l'espace-Liban, une perception intégrée du communautaire et du supra-communautaire, une perception pragmatique de la res publica, une dialectique de la rationalité, une didactique de l'autonomie, une didactique du travail de groupe, une didactique de l'autorité, une didactique réellement interculturelle quand au contenu de l'enseignement.

4. Le profil d'une supra-allégeance "Le patriotisme de la coexistence ne supporte pas l'ambiguïté, ni le double, et même quadruple et quintuple discours, ni les pensées politiques qui sont plutôt des arrière-pensées.(...) Le Libanais perçoit ses concitoyens sans complexe, ni de supériorité, ni de hiérarchie dans la citoyenneté, la pureté de l'allegeance, l'arabité, l'islamité, ou la christianité. Il considère que les martyrs des uns ne valent pas plus que ceux des autres.(...) Il perçoit la patrie multicommunautaire en tant que projet difficile mais non impossible(...), il use du même discours, sans équivoque et sans ambiguïté avec tous les Libanais. Son discours sur le même sujet est identique à Achrafiyé, Basta, Tripoli, Hermel, Keserwan ou Ain Ebel. Il voit plus loin que sa communauté, son parti, son village, son quartier et sa famille (...) Il distingue entre l'ennemi extérieur et le rival intérieur (...) Il a le sens de l'Etat (...) il se fonde sur la science et la planification (...) Il considère que la coexistence représente la cause libanaise suprême".


Voilà en gros, les extraits qui m'ont paru intéressants, et indépendemment de leur applicabilité en temps réel et concret, l'important qui est à retenir, est qu'on n'est pas seuls à penser qu'un Etat peut s'ériger si toutes les conditions peuvent être réunies, et qu'il faut toujours penser à redoubler d'efforts...

Je réalise de plus en plus aujourd'hui que le modèle décrit par Messarra est un must aujourd'hui. Du moins en tant que phase pour un système meilleur dans l'avenir (l'idéal pour moi étant le sécularisme et la non-ingérence du religieux sous toutes ses sortes dans la politique, ceci après avoir garanti une sécurité et une prospérité économique et financière et après s'être assuré qu'il n'y aura pas de retour en arrière en fonction des quatre critères nommés ci-dessus sur lesquels les libanais devront faire des efforts avec l'aides des ministères concernés). La démocratie consensuelle n'est cette chose ultra spéciale, son concept est simple et applicable sur 10452 km² et sans arbitre extérieur.

Pourtant, on s'aperçoit que la réalité sur le terrain bien plus compliquée. Après la guerre, c'est le temps pour l'amnistie, et le compromis. Le compromis de l'après-guerre, peut pragmatiquement permettre d’instaurer la paix parce qu’il évite l’humiliation des vaincus et la victoire totale des vainqueurs. Il satisfait ni les uns ni les autres et donne naissance à un équilibre précaire, et la chance de paix est dans le maintien de cet équilibre précaire. Aujourd'hui, je ne vois pas comment je peux voir les choses autrement. Il y a deux camps, issus de ce compromis d'après-guerre, qui précarisent encore plus l'équilibre. Je ne pense surement pas à une reprise de quelconque conflit violent, mais juste quelques petites batailles de voyous. Quoi qu'il en soit, c'est toujours un équilibre qui est cassé.

Les libanais doivent pouvoir exorciser leurs fantasmes communautaires. Je n'aurais jamais pensé que j'utiliserais ce verbe dans ma vie mais voilà, je ne pense pas qu'il y a de meilleur terme pour décrire ce que je pense doit être fait. Mes amis sont malheureusement encore nourris de ces fantasmes, de ces rêves irréalisables et des nostalgies de certaines choses qu'ils n'ont même pas vécues! Et c'est le pire aspect du confessionnalisme qui refait surface. C'est une honte qu'il ait pu retomber dans la haine que leurs chers leaders font gaver aux libanais par le biais des médias. Ils les gavent, comme des oies, et les jeunes ne se débattent même pas. Ils répètent à longueur de journée des clichés, qui sont appris par coeur par tous, et sont repris dans les salons, chez le coiffeur, partout... Encore un moment de l'histoire libanaise où j'arrive à réadapter 1984...

J'ai aussi ma nostalgie, et mon rêve irréalisable et je ne suis pas exempt de tout reproche. Cependant, je remets toujours en question mes conviction politiques, et à réaménager en quelques sortes ce rêve, pour qu'il ne soit plus le produit de tel ou tel leader, mais le mien, juste le mien.

Alors quand un proche vous dit qu'il ne peut supporter les uns sans être contre les autres, et qu'il est incohérent de rester au milieu, répondez-lui que vous n'êtes ni d'un côté, ni de l'autre, ni au milieu. De toutes façons, il n'y aura pas de vainqueur, c'est encore dire s'il y a des vainqueurs de compromis, parce que finalement, compromis il y aura... Répondez que vous êtes ni là, ni là, ni là, mais en dehors, au dessus.

Sinon, allez-y, enfoncez-vous chacun dans votre côté, étendez votre haine, sentez-la bien dans votre coeur et circuler dans votre sang en vous disant qu'il n'y a pas d'autre solution. Mais demain? Et après-demain? Qui y pense? Les arbres? Peut-être les pauvres galets encore souillés de pétrole?

Oui je suis toujours contre le gouvernement actuel, et non je ne soutiens en aucun cas les violences qui ont fait rage avant-hier. ET JE M'EN FOUS DE QUI A COMMENCE AVANT QUI ces violences et qui a aggressé qui, et qui avait des armes devant qui. JE M'EN FOUS DE QUI A COMMENCE AVANT QUI.

Je tends à penser déjà, pour demander une nouvelle loi électorale, ça prendra encore un an ou deux pour qu'elle soit au point, alors à ce moment là, on n'aura plus besoin d'élections anticipées. Qu'il y ait au moins un conseil constitutionnel pour juger les recours de ces élections avant...

En conclusion, le mal le plus atroce qu'on peut affliger à sa propre population, c'est laisser les jeunes de ma génération, ceux qui n'ont pas vécu la guerre en bonne et due forme, tenir un genre de propos envers les partis politiques différents comme s'ils étaient actifs durant la guerre, c'est ce sentiment haineux, moche, terriblement moche, que mes amis de tous les bords ressentent, qui me répugne (parmi eux ceux d'un certain bord qui m'accusent d'être de mauvaise foi). Ceux-là même qui sont capables de mener des batailles sans mercie les uns contre les autres, juste à cause. Comme ça. Parce que X est un chien. Ou Y un mégalomane. Ou Z un Dieu sur Terre. Et qu'on doit les tuer. Et qu'on les insultent. Tout est de leurs fautes. Leurs fautes à eux seulement. Mais, qu'on soit convaincu d'une prise de position politique ne signifie pas nécessairement vivre les sentiments de colère et de haine de la guerre, et c'est là où tout le monde en grande majorité échoue. ET CA VA DANS TOUS LES SENS. (merci pour l'interprétation correcte et non laissée à l'arbitrage du lecteur).

Tout ce qui est matériel peut se reconstruire, la pollution s'en ira, les poubelles se remetteront en place, les libanais n'ont pas besoin de le savoir... Mais le plus dur à faire, c'est de laisser la haine se dissiper, et de pouvoir bâtir des relations sociales ordinaires dorénavant, chose qu'on avait commencé à faire par un genre de contrition implicite de tous (au niveau social et non politique)... Justement cette contrition doit tenir son caractère politique, en parallèle de son caractère social pour qu'elle soit menée à terme, comme une commission Vérité et Réconciliation qu'on n'a jamais eue après notre guerre... (Et au diable l'amnistie, on fera l'épuration ethnique des seigneurs de la guerre, TOUS). Mais pour le caractère sociale d'une contrition, on peut encore rêver pendant quelques mois...

vendredi 19 janvier 2007

L'intellectuel et l'opinion publique

Un jour, un intellectuel a eu l'idée de sortir un slogan: Independance 05. C'était magique, sensationnel, c'était un rêve devenu réalité pour un bon nombre de jeunes, de moins jeunes, de tout le monde. Independance 05, c'était plus qu'une campagne, c'était une philosophie de vie. Ce n'était pas juste pour s'amuser, ou pour affirmer un combat, c'était pour le vivre, et pour le gagner.

Independance 05, c'était l'espoir d'un renouvellement, d'un vrai changement, c'était le goût de la liberté sous le ciel étoilé de Beyrouth, sur ce gazon de bas de gamme en face de l'ancien Opéra, sous des tentes qui n'ont pas toutes la même couleur, et pas la même disposition.

Et après? Plus rien... Une tentative de Freedom 06, échouée bien entendue, parce que rien ne la supportait, personne n'avait mis l'objectif du combat! (Et que personne ne vienne me dire que l'objectif c'était la démission de Lahoud)... J'ai haï cette tente littéralement bâtie sur du béton, qui gâche la vue et qui n'a aucune raison d'être...

Aujourd'hui, c'est J' LA VIE. On se dit, c'est cool j'aime la vie, qui ne l'aime pas est un suicidaire, et il n'y en pas beaucoup dans notre pays. Faire un slogan pour dire "Ah les méchants Hezbollah, ils n'aiment pas la vie, ni les gens du CPL, parce qu'ils veulent aller mourir au front contre Israël", ou pour dire "Achetez, consommez, aimez la vie, faites vivre nos affaires". Puis vint la réplique, le contre-slogan: J' LA VIE EN MULTICOLORE... Ca me rapelle une blague : "Bonjour, 3endak télévision mlawwan? - Eh - Bta3tiné wa7ad akhdar?" Question existentielle : Est-ce qu'on peut aimer la vie qu'avec une ou deux "couleurs"????
Et puis, qu'on l'aime en noir et blanc, en multicolore ou tout court, quel est l'objectif politique???? OK. Et l'objectif social? Nous revoilà plongés dans des slogans qui au départ cachent une sorte de haine, mais qui plus au fond, sont VIDES. C'est comme "A3ref 3adouwwak, el souri 3adouwwak"... Lequel, lequel????

J'ai décidé récemment de faire un mémoire. Mon master à Lille ne me permet pas de le faire l'année prochaine, alors je me suis dite que je devrais le faire, alors c'est bon, je suis officiellement inscrite pour faire un mémoire... Après avoir passé un mois à penser quel serait le thème, je suis arrivée à la conclusion qu'il serait bien de travailler sur les enjeux syriens après l'assassinat de Hariri. Je commence à penser à l'international, aux pressions, à l'ONU, à Mehlis et Brammertz etc... Puis j'ai pensé au Liban à l'économie, à la politique, aux services de renseignement... Un jour, je me suis rappellée d'un cours avec Samir Kassir, où il nous avait parlé (c'était le même jour où il devait parler aux manifestants) de l'opposition syrienne, et comment nous les jeunes, nous n'étions pas trop en train de l'aider, à cause de nos slogans tous pourris et nuls, alors j'ai décidé d'ajouter cet aspect dans les thèmes de mon mémoire.

Moi, ça faisait trois ans que je manifestais contre "les syriens", mais pour moi, c'était clair que je visais le régime, et non le peuple, j'étais juste inconsciente de l'impact que ça avait de dire "syrien", et je pense que pour tous ceux qui manifestaient avant l'assassinat de Hariri, c'était un peu pareil, on a goûté à l'eau, aux batailles avec les gendarmes, et aux arrestations arbitraires, on sait combien le peuple subissait, et subit encore d'ailleurs... J'ai réalisé que, si je disais "syrien" et que je vise "le régime", les syriens vont croire que c'est vraiment "les syriens", et pire, les libanais vont le croire également!! Sortez-moi de ce cercle vicieux!!! On les a peut-être aidé à écrire plus souvent durant cette période, à mettre plus la pression, mais pas suffisamment. Il ne faut pas attendre les pressions américaines et françaises pour écrire, il faut toucher à la rue, il faut la booster, il faut l'encourager, en dehors de ce genre de pressions internationales.

Bref, il faudra que l'on m'inspire à écrire en arabe!!!

En me baladant dans les rues de Paris, hier après-midi, du côté du quartier latin, et après avoir rencontré (par curiosité et pour mon mémoire) un intellectuel de l'opposition syrienne, j'ai fait une sorte de Back to the roots, une nostalgie de ce temps perdu, j'ai même pleuré pour ce qu'on a tous perdu, comment les libanais sont retombés dans la débilité de l'ère 1990-2004, où on se chamaille, et on oublie les questions les plus importantes : le budget, les infrstructures, les réfugiés de la guerre........................ en gros, L'ETAT!

ET LES LIBANAIS DANS LES PRISONS SYRIENNES? Ils rotissent, personne ne veut en parler, même plus le général... Pourquoi? Montez la pression, qu'ils sortent, ils pourront attaquer le régime syrien par la CPI.... Pourquoi plus personne ne fait plus rien pour ces gens-là? Ca sera vraiment un clou en plus dans le coeur du régime...

Beyrouth me manque, on m'a dit que c'était le syndrome de la rechute, après être rentré après les fêtes, tout le monde fait sa "rechute", se sent un peu mal de devoir quitter de nouveau la famille, les amis, la voiture... Mais bon, quand je me plonge dans mon mémoire, dans ce monde que je tente de recouvrir, je me rapproche de tout ça, de mes souvenirs surtout... Je veux comprendre, et je veux faire comprendre...

Je pense que j'ai encore beaucoup de chemin à faire, énormément, mais j'ai bien envie de tenter le coup, me dire que finalement, il y a une certaine logique dans cette vie qui dit qu'il faut tenir des principes, et ne pas avoir peur de les affirmer... Et pour trouver ces principes, il faut passer par des expériences, des manifestations, des contre-manifestations, des paradoxes, des jours où on est perdus et on ne sait pas quoi penser, des moments difficiles et obscurs qui font réfléchir et poser plein de questions...

J'ai eu la chance de rencontrer certaines grandes personnes dans ma petite vie, qui m'ont fait ouvrir les yeux sur un monde qui m'était indifférent, avec qui j'ai réalisé qu'il y avait plus à la vie que de demander le retrait des troupes syriennes de mon pays. Et aujourd'hui, bien que je sois dégoûtée du niveau du débat politique au Liban, je me dis que lorsqu'on brise certains tabous, c'est une façon d'avancer à petits pas, et qu'il y a toujours espoir que l'éveil se fasse petit à petit.

Jusqu'à là, ça va toujours, et je suis contente, et satisfaite de mon séjour-exil-volontaire en France, j'espère pouvoir en prendre avantage au maximum, comme j'ai senti le faire hier.