vendredi 17 avril 2009

"Non à l'intervenance étrangère"

Le 8 mars 2005, des milliers de banlieusards du sud ont déambulé massivement sur la place Riad El Solh dans le centre de Beyrouth. Accompagnés de milliers de pauvres syriens ouvriers (ayant surement subi une pression moukhbira), ils brandissaient des centaines de pancartes où était mentionné "Non à l'intervenance étrangère".

Autant que cela eût été délicat, nous avions ri de tout notre coeur ce jour-là dans les tentes, de l'autre bout du centre-ville. Aujourd'hui, même si cela me rappelle la tant bien-aimée "bravitude" de Ségo, "l'intervenance étrangère" est bel et bien une faille incontestable de notre système politique. Paradoxe ou simple logique, il apparaît impossible et plus qu'impossible de se passer de cette "intervenance" dans le pays des 2 cèdres millénaires encore vivants.

Ce jour-là, en pleine campagne contre "l'intervenance" américaine, française, onusienne, bref, occidentale, le Sayyed n'a pas pu s'empêcher de remercier mille fois la Syrie et Hafez El Asad. Jamais je ne pourrais oublier ce speech agressif et duquel du poison dégoulinait pour franciser un proverbe libanais. Sans entrer dans l'analyse du jeu politique de l'époque, l'idée est telle que l'ingérence étrangère au Liban est liée au concept existentiel de cette Nation.

Depuis le Mont-Liban autonome du reste de l'Empire Ottoman, jusqu'à nos jours, il n'y a que la France qui a pu faire pérdurer ses relations avec les bords politiques libanais, en tant que "mère patrie" et protectrice des maronites persécutés depuis la nuit des temps (et qui ,soit dit en passant, se balancent quelques guerres fratricides, et ce depuis le 18ème siècle).

Alors, parlons-en de cette "intervenance" qui sans elle, le Liban n'aurait pas vraiment existé. Parlons-en de 1860, du traité de Versailles et du patriarche Hoayek, parlons aussi du règne de Vichy et de l'emprisonnement de notre président et de notre gouvernement en 1943.

Mais surtout aujourd'hui, parlons de la bassesse du niveau de la diplomatie française. Non sans amertume, il faut avouer que nous sommes en train d'assister à l'une des pires représentations diplomatiques françaises au Liban. Et quel dommage, en pensant aux valeurs républicaines et à la capacité de la France de dépasser toutes les considérations politiciennes d'un moment donné pour la justice et le développement.

Or, lorsqu'un ambassadeur n'a aucune honte d'affirmer publiquement son appui à un criminel de guerre, on est loin du discours porté par la France... Il est de surcoît scandaleux de voir enfler cet "appui" à la veille des élections législatives, dont certains n'ont pas eu froid aux yeux en la comparant "aux élections allemandes de 1933" (Ahmad Fatfat). D'une part, les forces du 14 mars font un effort surhumain pour amplifier le caractère confessionel et agrandir par eux-mêmes le fossé entre les bords politiques de ces élections, et d'autre part, des diplomates jouent le jeu intérieur et se font prendre au piège de cette ridicule mise en scène!!

Je n'en dirais pas plus , à vous de juger!

Liban : un ambassadeur gaga de Geagea

Bakchich, vendredi 17 avril par Jean A. Rossignol

"A l’approche des législatives au Liban, l’ambassadeur de France, André Parant, fait publiquement campagne pour Samir Geagea, chef de file de l’Alliance du 14 Mars.

« C’est plus fort que lui. Il ne peut pas s’en empêcher ! » s’exclame un diplomate français en poste à Beyrouth, « l’ambassadeur André Parant n’arrête pas de faire des déclarations publiques en faveur de Samir Geagea ; de multiplier les propos élogieux à l’encontre du Hakim ». Ça la fout plutôt mal en pleine campagne électorale, les élections législatives étant annoncées pour le 7 juin prochain.

En arabe, « al-Hakim », c’est le « docteur ». C’est comme cela que tous les admirateurs de Samir Geagea l’appelle depuis les années soixante-dix, lorsqu’en pleine guerre du Liban, il interrompit ses études de médecine pour devenir l’un des chefs militaires du parti phalangiste avant de carrément mettre la main sur les Forces libanaises après l’assassinat de Bachir Gemayel en 1982.

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Le Cèdre libanais objet de toutes les attentions
© Liban

Fondé par Pierre Gemayel en 1936, rentré enthousiasmé des jeux olympiques de Berlin, la Phalange qui allait se transformer en Forces libanaises, puis en parti politique après l’accord de Taëf (1989) mettant fin aux quinze années de guerre civile, fait aujourd’hui parti de la coalition « pro-occidentale » dite du « 14-mars », aux côtés de Saad Hariri, le fils de l’ancien premier ministre Rafic assassiné en février 2005 et de Walid Joumblatt, le chef féodal des Druzes qui change de camp avec les aléas du vent. Les Forces libanaises d’aujourd’hui ont conservé leurs inspirations mussoliniennes et filiations fascistes : « Ni Orient, ni Occident ! », le vieux slogan des Phalanges avait beaucoup séduit Condoleezza Rice, l’ancienne secrétaire d’État américaine qui, elle-aussi, ne tarissait pas d’éloges à l’encontre de Samir Geagea, « idéaliste tout autant inspiré que désintéressé ».

Un ambassadeur un peu trop diplomate

En novembre dernier, notre ambassadeur à Beyrouth s’était déjà fait remonté les bretelles par l’Élysée. Lors d’un dîner officiel pour le Salon du livre francophone, en présence d’écrivains français et de parlementaires européens, André Parant s’était effectivement livré à une apologie publique de trois quart d’heure du Hakim avant de se faire ramener à la raison par quelques uns de ses invités. Ces derniers osant rappeler quelques bavures de ce personnage qui n’est autre qu’un véritable serial killer à qui l’ont attribue pas moins d’une trentaine d’assassinats, d’enlèvements et de disparitions…

Vraisemblablement sur le départ – il pourrait faire partie du mouvement diplomatique de l’été – André Parant n’a visiblement pas retenu la leçon. Cet ancien conseiller technique de la cellule diplomatique de Chirac (nommé en octobre en 2002) est resté viscéralement chiraquien fulmine-t-on à l’Élysée. Il n’a pas intégré que la ligne Sarko consiste à parler à tout le monde, même au Hezbollah ainsi qu’au général Michel Aoun, le leader chrétien qui a fait alliance avec le parti chiite. Évidemment, Parant n’a pas de mots et de maux assez durs à l’encontre du général qu’il traite – encore publiquement – de « traître à son camp ! ».

C’est qu’une fois la nuit venue, notre ambassadeur laisse tomber son habit de lumière diplomatique pour se couler dans la tenue de poulbot beyrouthin – tee-shirt, jeans et tennis blanches – afin de se joindre aux soirées dansantes et endiablées du 14-Mars où, là-encore, il n’arrive pas à tenir sa langue. La capitale du pays du cèdre est un village, aussi dès le lendemain, le tout Beyrouth de commenter les dernières sorties de l’ambassadeur de France…

On l’aura compris, l’ambassadeur de France à Beyrouth donne d’ores et déjà gagnante la coalition du 14-Mars avec un rôle prépondérant à son héros Samir Geagea. De la haute diplomatie qui va certainement favoriser, sinon hâter l’arrivée d’une nouvelle excellence française au pays du cèdre…"

mercredi 15 avril 2009

Les maronites de Galilée

Une messe pascale contre l'oubli à Bar'am, village chrétien détruit du nord d'Israël

Le monde, 13/04/2009

C'est une église noyée dans la nature. Une chapelle perdue dans un champ de boutons d'or, sur une colline de Haute-Galilée, dans le nord d'Israël. Chaque dimanche de Pâques, l'endroit connaît un miracle. Les paroissiens, invisibles en temps normal, affluent tout d'un coup de derrière les sapins et convergent vers le petit parvis pour se masser autour des piliers de la nef. Cette année encore, les hommes en costume, le visage grave, et les femmes bien mises ont suivi la cérémonie pascale, dans le culte maronite. Mais, ici, les chants de messe ont un parfum de ferveur et de fierté sans équivalent en Terre sainte. Car l'église est la balise de Bar'am, un village fantôme, dépeuplé et démoli par les troupes du jeune Etat juif, il y a près de soixante ans.

Son clocher signale la présence en contrebas d'un véritable lacis de ruines, enfouies sous les ronces et les herbes folles. Des morceaux de murets, un bout d'escalier, des façades en lambeaux : autant de révélateurs d'un passé prospère, interrompu par la première guerre israélo-arabe et ranimé, à chaque cérémonie, par les prières des fidèles. "Cet endroit, c'est mon sang, c'est mon âme, dit Naheda Zahra, 47 ans, à la sortie de la messe. A chaque fois que je viens ici, je revis."

Le calvaire de Bar'am commence le 29 octobre 1948, quand David Ben Gourion, premier ministre de l'Etat d'Israël proclamé six mois plus tôt, déclenche l'offensive Hiram. La cible est la zone frontalière avec le Liban, que le plan de partage de la Palestine - voté par les Nations unies en 1947 et rejeté par tous les pays arabes - avait attribuée aux Palestiniens. En l'espace de soixante heures, plusieurs dizaines de milliers de villageois sont jetés sur les routes de l'exil dans les combats entre les forces arabes et la Haganah, l'embryon de l'armée israélienne. Ces opérations, répétées sur tout le territoire de la Palestine mandataire, aboutiront à l'exode de 700 000 Palestiniens, qui lui vaudra le nom de Nakba ("catastrophe").

"RÉFUGIÉS SUR NOTRE TERRE"

A Bar'am, l'ordre d'expulsion tombe le 13 novembre. "Le commandant affirmait qu'il s'agissait d'une évacuation temporaire pour raisons de sécurité", raconte Khalil Badin, l'un des patriarches du village, âgé de 24 ans en 1948. Les 850 habitants se regroupent pour la plupart dans la localité voisine de Jish, dans l'attente du retour promis. Mais la consigne ne viendra jamais. Pour graver dans la pierre le rejet de leur pétition par la Cour suprême, l'aviation israélienne bombarde le village en 1953. "Tous les bâtiments ont été détruits, à l'exception de l'église, dit Khalil Badin. On a regardé l'attaque depuis un surplomb, que l'on appelle entre nous la colline des lamentations."

Pendant quarante ans, les villageois multiplient les requêtes. A force de manifester, ils obtiennent le droit de célébrer des messes dans l'église et d'enterrer leurs morts dans le cimetière. Mais tous les premiers ministres israéliens rechignent à leur permettre de rebâtir leurs maisons : ils redoutent d'établir un précédent susceptible de conforter le "droit au retour" accordé par les Nations unies aux réfugiés palestiniens. Pour combattre la lassitude qui s'empare parfois des jeunes générations, l'association Al-Awda ("le retour") est créée, qui organise des camps d'été. "Nous sommes réfugiés sur notre propre terre, nous n'oublierons jamais", dit Wassim Ghantous, l'un de ses responsables, âgé de 25 ans.

Dans ce culte des ruines, les jeunes chrétiens croisent parfois de jeunes juifs. Arguant de la présence, juste à côté de l'église, d'un temple antique identifié comme une synagogue, les autorités israéliennes ont transformé Bar'am en parc national. A chaque shabbat, des touristes déambulent entre les colonnades. La brochure qui leur est remise consacre deux lignes à l'expulsion des villageois, qualifiée d'"évacuation". Elle fournit d'amples détails sur l'histoire de la synagogue et sur l'inscription frappée sur son linteau. "Que la paix soit sur cette terre et toutes celles d'Israël."

Benjamin Barthe