dimanche 10 août 2008

Magida, ou la noblesse du Liban retrouvée dans l'art.

Le Palais de l'émir Fakhreddine II El Maani n'a jamais paru aussi magnifique et majestueux, qu'au soir du 9 août 2008.

Certes, le festival existe depuis 1985 et de nombreux artistes internationaux se sont succédés sur cette scène en plein coeur de la montagne libanaise (surtout depuis 1997): Andrea Bocelli, Joe Cocker, Sir Elton John, Miriam Makeba,Youssou N'Dour, Maurice Béjart, Nigel Kennedy, Ravi Shankar, Phil Collins, Gilberto Gil et j'en passe...

Les plus grands artistes du monde arabe ne manquent jamais à l'appel: Kazem El Saher, Sabah Fakhri, Fairouz et Ziad Rahbani, Julia Boutros, Marcel Khalifé, et Magida.

En 1985, pendant que la guerre battait son plein, le festival traduisait un acte de foi dans le rôle culturel du Liban, le pouvoir de sa créativité, un appel pour la normalité à l'intérieur du chaos et de la folie de la guerre.

Plus tard, Nora Joumblatt, épouse de Walid, prends les rennes du comité exécutif du festival, et c'est là où Beiteddine gagne de l'importance. A la fin de la guerre, le tourisme reprends, le Palais, intouché durant les hostilités, mais pillé à maintes reprises, gagne son charme de nouveau. L'importance capitale qu'il représente à un niveau historique est sans égal. L'émir du Mont-Liban, petite province autonome avant toute autre dans l'Empire Ottoman, depuis 1840, se fait construire 5 Palais pour sa famille à Beiteddine. Le plus grand, celui qui porte son nom, ressemble à ce rêve orientaliste qui peint et meuble les fantasmes des européens et des occidentaux: A l'extérieur, la montagne verte, grande, une vallée qui aboutit à la mer, une vue sur les villages de l'autre versant, faits de pierre et de tuile rouge (Deir El Kamar). De l'intérieur, la cour externe, la cour du Harem, le Hammam, le Conseil des Sages, un lustre immense (cadeau de Napoléon Bonaparte), et des mosaïqes qui datent de l'époque greco-romaine. En plus de 200 ans, le Palais n'a rien perdu, à part une bonne partie de ses trésors matériels...

Les pierres sont là, fortes et somptueuses. Elles sont le symbole de l'histoire du pays. Elles sont là pour nous rappeler que notre lutte pour l'autonomie, l'indépendance dans cette petite montagne, probablement insignifiante à un niveau stratégique international, n'est pas nouvelle. Elles sont là pour témoigner de l'histoire de la montagne mixte, druzo-maronite, ces deux communautés à la base du Liban. Pour nous dire que tant que la pierre restera, ces deux communautés vont également rester dans la montagne dans les soirées fraîches d'Août. Alors, autant trouver un moyen pour se réconcilier???

Pour revenir au festival, l'organisation s'améliore, année après année, et pour Magida, j'ai bien décidé de payer mon billet pour aller la voir de l'intérieur. D'habitude, je retrouve des amis à l'extérieur du Palais, et on se pose sur le toit d'une maison du village qui surplomb la cour externe. Sans rien payer, en bon gauchistes de l'époque, révolutionnaires de 2005, on a été voir Marcel Khalifé du toit de cette maison abandonnée. La chance va aux villageois de Beiteddine, qui écoutent et voient tous les spectacles.

Pourtant, cette fois-ci, ça allait être la première fois depuis 2005 que je n'avais pas été à un concert de Magida. Je me souviens bien de cette soirée. C'était un concert gratuit, au printemps 2005. Le sit-in battait son plein, et nous étions remplis de rêves. Elle était venue, pour nous, tout près des tentes, dans notre place de la Liberté, la place des Martyrs. Elle a chanté toutes les chansons patriotiques de son répertoire, et nous, nous avons chanté avec elle. Rares sont les Libanais qui ne connaissent pas les chansons patriotiques de Magida, qu'elle chantait en 1989 pour Baabda. Elle était simple, et elle y croyait comme nous.

Aujourd'hui, comme nous, son coeur est rempli de déception, au point où elle, de sa position d'artiste, se permet d'exhorter les politiciens pour se mettre d'accord. Le 9 décembre 2007, à l'occasion du premier anniversaire de l'assassinat de Gebran Tuéni, elle laisse exploser sa colère dans son fameux discours "Bi Kaffé"... Magida a cette posture, de maman, d'artiste, de femme, de citoyenne. Elle s'est permise de faire ce discours, et tout le monde l'a écouté. Les politiciens, c'est à dire les gens du premier rang, n'osaient plus se regarder. Evidemment, l'impact est plutôt minime, compte-tenu des circonstances népotistes et de corruption, mais l'histoire est là... التاريخ ما بيرحم ... (l'histoire n'a pas de pitié).

La surprise du soir : Le Président de la République, le général Michel Sleiman, le ministre de la culture, Tarek Mitri, étaient présents pour ce concert. Magida, grâcieuse comme toujours, lui a montré à quel point elle mettait tous ces espoirs dans cette nouvelle ère.

Majestueuse avec سوف نبقى ou "nous allons rester", comme chanson d'ouverture, elle a alterné chansons d'amour et chansons patriotiques. Elle a dédicacé une chanson à Youssef Chahine, avec lequel elle s'est produite pour un film. Si elle savait que Mahmoud Darwish venait de décéder, je suis sure qu'elle aurait également chanté et dédicacé سقط القناع, "le masque est tombé"...

Quel bonheur de voir 5000 personnes debout en train de faire une petite dabké sur place alors que Magida resplendit avec راجع راجع يتعمر راجع لبنان. En revanche, le moment émouvant reste pour sa chanson la plus touchante, يا بيروت qu'elle s'efforca de garder pour la fin, après la dabké et les chansons folkloriques. Le plus gros message d'espoir, d'amour et de foi, juste en face du Président. Nizar Kabbani n'aurait peut-être jamais imaginé à quel point son poème allait être connu par coeur, et chanté avec une telle ferveur et reconnaissance par tous les Libanais grâce à Magida. YA BEYROUTH, comment tout le monde la chantait, la criait, en même temps qu'elle, mieux que l'hymne national... Je la pleurais. Je regardais le public, puis Magida, puis les feux d'artifice, qui explosaient en même temps que "قومي..قومي..قومي.."

نعترفُ أمامَ اللهِ الواحدِ ..نعترفُ

أنّا كُنّا منكِ نغارُ ..

وكانَ جمالكِ يؤذينا ..

نعترفُ الآنَ ..

بأنّا لم ننصفْكِ .. ولم نرحمك .. بأن لم نفهمْكِ .. ولم نعذُرْكِ

وأهديناكِ مكانَ الوردةِ سِكّينا ...

نعترفُ أمامَ اللهِ العادلِ ...

بأنّا لم ننصفْكِ .. ولم نرحمك ..بأن لم نفهمْكِ .. ولم نعذُرْكِ

بأنّا جرَحناكي، وأنا أتعبناكي، بأنّ أحرقناكي، وأبكيناكي

وحمّلناكِ يا بيروت معاصينا..
يا بيروت، يا ستَّ الدنيا يا بيروت
إن الدنيا بعدكِ ليستْ تكفينا ..

الآنَ عرفنا .. أنَّ جذوركِ ضاربةٌ فينا ..

الآنَ عرفنا .. ماذا اقترفتْ أيدينا ..الآنَ

قومي من تحتِ الرَدمِ، كزهرةِ لوزٍ في نيسانْ

قومي..قومي..قومي..

قومي من حُزنكِ ..

إنَّ الثورةَ تولدُ من رحمِ الأحزانْ

قومي أكراماً للغاباتِ ..

وللأنهارِ ..

وللوديانِ ..

قومي إكراماً للإنسانْ ..

قومي يا بيروت..........




Décidément, la fierté d'être Libanais, s'étant dissipée, effacée, enfoncée sous les pieds de tous, après les évènements de ces derniers mois, ces dernières années, ne peut pas mieux se reconstruire. Magida, la divine, la somptueuse, telle que son prénom la définit, ماجدة, fière, généreuse, noble, un des 99 attributs de Dieu (au masculin) nous fait renaître cette fierté de l'intérieur de nos coeurs. Comme un phénix qui renaît de ses cendres, Magida a cette puissance qui nous permet de rêver de nouveau, avec sa voix, ses sentiments, sa relation avec son public, avec ses concitoyens.

Alors Magida, comme cet homme complètement fou et ahuri devant nous dans le public, j'aimerais te crier "ماااااااااااجدة بحبييييييييييييييييك"...

Merci du fond du coeur, pour nous avoir donné cette soirée grandiose et unique dans l'histoire du festival de Beiteddine. Du fond du coeur, là où je suis fière d'être Libanaise.

mercredi 6 août 2008

الصراع السني-الشيعي

الصراع... Quel est le terme le plus approprié pour le traduire?

Je voulais commencer directement par en parler, mais l'impression est telle que le mot le plus approprié en français m'échappe... Conflit? Non, trop violent... Lutte, affrontement ??? Finalement, je crois que je vais opter pour "la discorde sunnite-chiite". Sauf que lorsqu'on y pense, c'est comme si je me cachais derrière mon petit doigt!

Malheureusement, il faut l’avouer, c'est un conflit.

Les conflits infra-libanais évoluent quand même de manière absurde : Ils ont commencé par le conflit chrétien-musulman, à partir du mandat français juqu'aux années 80. Les conflits infra-chrétiens et infra-musulmans ont repris le dessus à un moment donné. Dans les années 90, le conflit était officiellement terminé, mais traînait de façon latente à travers les difficultés économiques par lesquelles nous passions. Paralèllement, en Irak, la guerre avec l'Iran et les épurations ethniques kurdes et chiites étaient des catalyseurs indirects pour la reprise des violences au Liban. Nous pouvons même revenir à la période instable des années 50 et 60 pour expliquer certaines mouvances au Liban. Un ancien Président de la République Libanaise a bien dit: "La stabilité du Liban dépend de la stabilité de l'Irak". C'était en 1958, l'armée irakienne avait renversé la monarchie de Faysal...

Un conflit, des jeunes qui s'arment, qui se préparent, qui construisent des murs de séparation, psychologiques, culturels, religieux.


Je peux commencer mon post maintenant.


Le mois de Mai a vu les troubles civils les plus violents depuis la fin de la guerre en 1990. A la suite de deux décisions controversées du gouvernement, l'opposition a bloqué les axes essentiels du pays, spécialement l'axe menant à l'aéroport international. Les actions se sont propagées en violents affrontements dans certains quartiers de Beyrouth, et dans certains villages du Mont-Liban et le Nord.

Pendant 10 jours durant, le pays était sous le traumatisme et la paralysie de toutes les activités économiques et sociales. Notre projet à l'ONG a été touché par cette crise. Dans les villages où je travaille à Akkar, certains affrontements directs ont même eu lieu. C'est le cas de Bireh, où des affrontements partisans Mustaqbal avec le PSNS (Parti socialiste nationaliste syrien) et beaucoup de jeunes ont été blessés. Egalement, à Miniyeh, nous avons observé la distribution d’un grand nombre d'armes et de combustion des pneus par les jeunes.

Les jeunes étaient censés avoir commencé à mettre en œuvre leurs plans d'action d'ici le début de Mai, surtout que leurs examens ont lieu à la mi-juin. La crise a arrêté l'évolution de projets pendant environ deux semaines entières, ce qui a créé un obstacle pour l'évolution positive du projet.

À la suite de ces collisions, un phénomène nouveau est apparu dans les comportements des jeunes. Les jeunes sont les réservoirs principaux de cette crise. Certains jeunes Libanais étaient partagés; armés et ont combattu les uns les autres pour un autre motif ou cause, et les deux camps ne réalisaient pas que les conséquences allaient être désastreuses. Les gens s'entretuaient... Le résultat était la mort, citoyens blessés, la destruction et les traumatismes psychologiques.

Les affrontements ont causé la mort de dizaines et des centaines de blessés. Mais les dommages qui apparaissent dans les équipes de jeunes ont principalement été ressenties sur un plan psychologique.

Les traumatismes psychologiques ont été les principaux facteurs qui ont touché les mentalités et la conscience du peuple libanais par différentes manières:

• fanatisme sectaire
• Avis rigides non-réconciliateurs
• Crainte suivie par la haine de l'autre.

Ces facteurs ont démoralisé la plupart des jeunes et détruit des alternatives non partisanes pour un activisme progressiste et non-violent. En outre, ceci a directement touché leur motivation et leur enthousiasme dans la création d'un changement dans leurs communautés locales.

Nos jeunes à Akkar, le 24 mai 2008:

Mohammad, 18: Je n'aime pas la guerre, mais ils l'ont voulue lorsqu'ils ont commencé à Beyrouth. La façon dont le conflit a évolué m'a fait penser que les personnes qui ont été massacrées à Halba méritaient la mort. Ils ne méritent même pas notre pitié.

Mohammad, 20: En réaction à ce qui se passait à Beyrouth, j'ai rejoins mes amis qui brûlaient des pneus dans la rue. J’étais content parce que j'ai eu l'opportunité de tenir un revolver.

Nazim, 23: J'avais peur qu'une guerre civile n'éclate. Notre maison était menacée et j'ai du dormir sur le toit avec une arme. Dans des situations pareilles, on s'en fout même de la situation économique. Lorsque ton leader politique te demande de faire quelque chose, tu obéis tout simplement à ses ordres, sans penser aux conséquences.

Mazen, 27: J'ai été insulté en tant que Sunnite, et je ne me sens plus Libanais. C'était un conflit purement Sunnite-Chiite, et une humiliation complète pour les Sunnites. Pour le massacre de Halba, je suis évidemment contre ce genre d'actions, mais ce sont eux qui ont commencé.

Abir, 30: Les Sunnites de Beyrouth ont eu la trouille, ils avaient besoin du courage de nos hommes du nord et de Akkar. Je suis sortie au balcon et j'ai commencé à crier: "Où sont les Sunnites forts? Ils devraient descendre à Beyrouth tout de suite!". Les Libanais ont perdu leurs valeurs, le speech de Gebran Tuéni est perdu. On pouvait s'y attendre, les Chiites se préparaient à casser l'accord de Taëf.

Quoiiiii ? Mais qu’est-ce que tu racontes ????? Vous vivez dans le même pays ? C’est possible ???

Desfois, il vaut mieux ajouter ce genre de citations et se taire.