vendredi 19 janvier 2007

L'intellectuel et l'opinion publique

Un jour, un intellectuel a eu l'idée de sortir un slogan: Independance 05. C'était magique, sensationnel, c'était un rêve devenu réalité pour un bon nombre de jeunes, de moins jeunes, de tout le monde. Independance 05, c'était plus qu'une campagne, c'était une philosophie de vie. Ce n'était pas juste pour s'amuser, ou pour affirmer un combat, c'était pour le vivre, et pour le gagner.

Independance 05, c'était l'espoir d'un renouvellement, d'un vrai changement, c'était le goût de la liberté sous le ciel étoilé de Beyrouth, sur ce gazon de bas de gamme en face de l'ancien Opéra, sous des tentes qui n'ont pas toutes la même couleur, et pas la même disposition.

Et après? Plus rien... Une tentative de Freedom 06, échouée bien entendue, parce que rien ne la supportait, personne n'avait mis l'objectif du combat! (Et que personne ne vienne me dire que l'objectif c'était la démission de Lahoud)... J'ai haï cette tente littéralement bâtie sur du béton, qui gâche la vue et qui n'a aucune raison d'être...

Aujourd'hui, c'est J' LA VIE. On se dit, c'est cool j'aime la vie, qui ne l'aime pas est un suicidaire, et il n'y en pas beaucoup dans notre pays. Faire un slogan pour dire "Ah les méchants Hezbollah, ils n'aiment pas la vie, ni les gens du CPL, parce qu'ils veulent aller mourir au front contre Israël", ou pour dire "Achetez, consommez, aimez la vie, faites vivre nos affaires". Puis vint la réplique, le contre-slogan: J' LA VIE EN MULTICOLORE... Ca me rapelle une blague : "Bonjour, 3endak télévision mlawwan? - Eh - Bta3tiné wa7ad akhdar?" Question existentielle : Est-ce qu'on peut aimer la vie qu'avec une ou deux "couleurs"????
Et puis, qu'on l'aime en noir et blanc, en multicolore ou tout court, quel est l'objectif politique???? OK. Et l'objectif social? Nous revoilà plongés dans des slogans qui au départ cachent une sorte de haine, mais qui plus au fond, sont VIDES. C'est comme "A3ref 3adouwwak, el souri 3adouwwak"... Lequel, lequel????

J'ai décidé récemment de faire un mémoire. Mon master à Lille ne me permet pas de le faire l'année prochaine, alors je me suis dite que je devrais le faire, alors c'est bon, je suis officiellement inscrite pour faire un mémoire... Après avoir passé un mois à penser quel serait le thème, je suis arrivée à la conclusion qu'il serait bien de travailler sur les enjeux syriens après l'assassinat de Hariri. Je commence à penser à l'international, aux pressions, à l'ONU, à Mehlis et Brammertz etc... Puis j'ai pensé au Liban à l'économie, à la politique, aux services de renseignement... Un jour, je me suis rappellée d'un cours avec Samir Kassir, où il nous avait parlé (c'était le même jour où il devait parler aux manifestants) de l'opposition syrienne, et comment nous les jeunes, nous n'étions pas trop en train de l'aider, à cause de nos slogans tous pourris et nuls, alors j'ai décidé d'ajouter cet aspect dans les thèmes de mon mémoire.

Moi, ça faisait trois ans que je manifestais contre "les syriens", mais pour moi, c'était clair que je visais le régime, et non le peuple, j'étais juste inconsciente de l'impact que ça avait de dire "syrien", et je pense que pour tous ceux qui manifestaient avant l'assassinat de Hariri, c'était un peu pareil, on a goûté à l'eau, aux batailles avec les gendarmes, et aux arrestations arbitraires, on sait combien le peuple subissait, et subit encore d'ailleurs... J'ai réalisé que, si je disais "syrien" et que je vise "le régime", les syriens vont croire que c'est vraiment "les syriens", et pire, les libanais vont le croire également!! Sortez-moi de ce cercle vicieux!!! On les a peut-être aidé à écrire plus souvent durant cette période, à mettre plus la pression, mais pas suffisamment. Il ne faut pas attendre les pressions américaines et françaises pour écrire, il faut toucher à la rue, il faut la booster, il faut l'encourager, en dehors de ce genre de pressions internationales.

Bref, il faudra que l'on m'inspire à écrire en arabe!!!

En me baladant dans les rues de Paris, hier après-midi, du côté du quartier latin, et après avoir rencontré (par curiosité et pour mon mémoire) un intellectuel de l'opposition syrienne, j'ai fait une sorte de Back to the roots, une nostalgie de ce temps perdu, j'ai même pleuré pour ce qu'on a tous perdu, comment les libanais sont retombés dans la débilité de l'ère 1990-2004, où on se chamaille, et on oublie les questions les plus importantes : le budget, les infrstructures, les réfugiés de la guerre........................ en gros, L'ETAT!

ET LES LIBANAIS DANS LES PRISONS SYRIENNES? Ils rotissent, personne ne veut en parler, même plus le général... Pourquoi? Montez la pression, qu'ils sortent, ils pourront attaquer le régime syrien par la CPI.... Pourquoi plus personne ne fait plus rien pour ces gens-là? Ca sera vraiment un clou en plus dans le coeur du régime...

Beyrouth me manque, on m'a dit que c'était le syndrome de la rechute, après être rentré après les fêtes, tout le monde fait sa "rechute", se sent un peu mal de devoir quitter de nouveau la famille, les amis, la voiture... Mais bon, quand je me plonge dans mon mémoire, dans ce monde que je tente de recouvrir, je me rapproche de tout ça, de mes souvenirs surtout... Je veux comprendre, et je veux faire comprendre...

Je pense que j'ai encore beaucoup de chemin à faire, énormément, mais j'ai bien envie de tenter le coup, me dire que finalement, il y a une certaine logique dans cette vie qui dit qu'il faut tenir des principes, et ne pas avoir peur de les affirmer... Et pour trouver ces principes, il faut passer par des expériences, des manifestations, des contre-manifestations, des paradoxes, des jours où on est perdus et on ne sait pas quoi penser, des moments difficiles et obscurs qui font réfléchir et poser plein de questions...

J'ai eu la chance de rencontrer certaines grandes personnes dans ma petite vie, qui m'ont fait ouvrir les yeux sur un monde qui m'était indifférent, avec qui j'ai réalisé qu'il y avait plus à la vie que de demander le retrait des troupes syriennes de mon pays. Et aujourd'hui, bien que je sois dégoûtée du niveau du débat politique au Liban, je me dis que lorsqu'on brise certains tabous, c'est une façon d'avancer à petits pas, et qu'il y a toujours espoir que l'éveil se fasse petit à petit.

Jusqu'à là, ça va toujours, et je suis contente, et satisfaite de mon séjour-exil-volontaire en France, j'espère pouvoir en prendre avantage au maximum, comme j'ai senti le faire hier.

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