Le dernier jour...
Mercredi 1er juin,
Je n'oublierai jamais... Il est deja 1h00 PM, comme d'habiture, M. Kassir arrive vers 1h05, un sourire ironique au visage... "Yalla". C'est l'heure, pas la peine d'eteindre nos cigarettes, on les fait rentrer avec nous en classe. "Ah Monsieur, un instant j'ai oublie"... Je sors de la classe, et ramene avec moi le cendrier, son cher cendrier... Pour nous, c'est pas grave, on ramene des goblets avec un peu d'eau dedans...
Ce jour-la, l'avant-dernier cours, deux personnes avaient prepare un expose, il leur céda la place du prof, et comme d'habitude, se mit a se balader en nous regardant, a s'assoir sur le couch derriere les bancs de la classe, a fumer ses gauloises ultra light (apres avoir change des Philip Morris), le cendrier a la main. Puis, il s'assit pres de nous, entre nous, a ecouter parler de "l'art des mosquees"... On en a discute les mosquees, surtout celles de Beyrouth...
Les questions, a ceux qui exposent, pas a lui, il voulait bien voir ce qu'elles savaient, il avait cet air de septicisme quant a la sincerité du projet, ca se voyait dans ses yeux, mais il n'a rien dit... Il s'en fou pas mal de toutes facons, il ne veut pas etre desagreable... Il prefere regarder sa cigarette avant de l'eteindre, en se levant et en les remerciant pour le projet.
Il restait environ 45 minutes du cours... "Natasha, parlez-moi des elections, Marina, critiquez-moi ce qu'elle va dire"... Critiquer, facile... J'ai parle du Nahar, de sa bassesse, de son eloignement de sa superiorite en tant que journal elitiste... Il n'a pas repondu... Il a repondu a Philippe, qui lui parlait de Gebran... "Tu me parles a moi de Gebran? Tu me parles a moi de ca???" Il s'est laché, comme d'habitude...
La loi electorale, pas question pour lui qu'elle reste comme ca, il faut que chaque personne vote ou elle paye ses taxes..."Mais Monsieur, je ne peux pas quitter mes racines, c'est un truc culturel..." Un sourire tres cynique se dessine sur son visage... "C'est tres interessant cynthia ce que tu viens de dire, tres interessant, mais tres archaique, tres bete, tres stupide, je ne croyais pas qu'il y avait des personnes qui pensaient toujours comme ca, s'il te plait continue, et les autres, ecoutez-la c'est tres interessant...(mais qu'est ce que c'est archaique)"
On le provoque, il s'enerve...Il commence a parler en arabe "Ana 3am te7kine heik? wlo ana ana, 3am te7kine ana heik? Ma bi sir, 3raf abel ma3 min 3am te7ke" Encore, le sujet du Nahar... Il nous semble alors qu'entre Gebran et Samir, c'est un pti peu la guerre froide...
Il arrete un peu la discussion pour nous dire "de toutes facons, vendredi, ca va etre la derniere fois que vous me voyez"... Je lui ai repondu, avec d'autres camarades de classe "mais non, on va toujours vous voir a la tele, vous lire vos articles"... J'attendais vivement vendredi, pour pouvoir critiquer une derniere fois son article avant qu'il ne rentre en classe... J'etais en plus tres choquee de savoir que son article du vendredi devait etre intitulé "risala ila sadik 3awni", puisque je lui avait dit, vendredi passé "dakhlak Monsieur, lech ma btektoub 3anna ne7na? el chabeb? be3ouna w ra7o" apres une discussion en classe a propos des tentes et comment les politiciens nous ont mené du bout du nez...
Et puis, retour aux elections de Beyrouth... "Arretez d'etre hypocrites, il y a encore gharbiyye et char2iyye, il ne faut pas qu'on se leurre" dit un ami de Moukawimoun 7atta el 7orriye (ex- Ka3ida Kataeb).... Et C'est la pagaille en classe, entre "bala 7adiss ta2ife" et "ma ba2 fi gharbiye w char2iyye"... M. Kassir, regarde sa montre, remarque qu'il est deja 2h25...
Il se leve, regarde un autre ami qui etait deja debout et lui dit les derniers mots qu'il a prononce a la salle 52, salle Samir Kassir, "Tu as vu ce que j'ai fait? J'ai foutu la merde et je m'en vais", avec un petit rire, toujours le meme... Je l'ai entendu dire ces derniers mots, sortir de sa bouche, je lui ai souris : "Bye Monsieur" et j'ai continue dans la discussion qui ne s'est terminee que vers 3h00, puisqu'on avait un autre cours...
Nous ne meritons pas un martyr comme lui... Nous ne meritons pas nos martyrs...
S'il peut ecouter mes pensees, j'aimerai lui dire qu'il avait raison, mais qu'il y a encore beaucoup trop de personnes qui pensent "archaiquement" pour pouvoir arriver a une conclusion positive actuellement, j'aimerai lui dire qu'il est mon hero, que je l'aime et que je ne l'oublierai jamais... Les cigarettes durant son cours vont me manquer, ses remarques vont me manquer, ses sautes d'humeur, sa facon de chanter lors de mon exposé (musique arabe du XXeme siecle), sa facon de penser, ses blagues, son regard, son aide dans mes exposes... tout...
A M. Kassir, je te pleure, je pleure le Liban qui t'a perdu, je pleure notre génération qui vous tient comme idole, comme activiste pour un Liban meilleur, un rebelle pour la liberté, toute la liberté... Tu es libre M. Kassir, tu ne t'es jamais laissé faire, jusqu'au bout tu l'es resté, et tu l'es encore.
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