Aujourd'hui je commente l'histoire d'un parti, aujourd'hui presque inexistant, de la Gauche Démocratique (YAD). Passés les partis grands et méchants qui veulent nous dominer en fonction de l'appartenance politique de chacun, il est question ici de ce petit, mais seul réel mouvement de la gauche libanaise de cette décennie. Pour cela, et puisque le YAD, nous le verrons, est une mosaïque de personnes venues de différentes horizons, j'ai essayé d'être autant que possible indulgente, pourtant ma déception est grande... Le YAD se devait de représenter une nouvelle gauche, une gauche que ne connaissaient pas les libanais, une gauche modérée, tolérante et progressiste, une gauche indépendante de la cause palestinienne qui aurait pu attirer des milliers de partisans. Et pourant, l'histoire tournera différemment, réduisant en cendres ce nouveau-né.
Lorsqu'on observe ce genre de formation, il est assez intéressant de revenir aux sources mêmes, qui permettent de mieux cerner les objectifs mais aussi de mieux comprendre l'échec cuisant qui s'en est suivi après 2005.
Pendant la guerre (LA guerre, 1975-1990), tous les groupuscules de gauche et d'extrême-gauche se ralliaient au camp pro-palestinien, nommé le camp "palestino-progressiste" puis "islamo-progressiste" (j'essaie toujours de comprendre). Mais à peine la guerre libanaise terminée, nous nous sommes "réveillés" parallèlement à la chute de l'URSS, qui a ébranlé toutes les formations communistes, marxistes et trotskystes partout dans le monde. Au Liban, cette combinaison de ces deux éléments, l'un international et l'autre local, allait avoir des conséquences désastreuses sur le Parti Communiste Libanais (PCL).
Miné déjà par quelques scissions internes et plusieurs courants, le PCL sort de cette guerre comme un homme malade, loin d'avoir achevé des objectifs -quels qu'ils soient-(à part aider les palestiniens je doute qu'ils n'aient eu d'autres objectifs).Un courant, dirigé par Elias Atallah et soutenu par Hanna Saleh et Adib Nehmé, a remis en question plusieurs questions: d'abord, l'idéologie marxiste-léniniste, l'alignement du PCL à la politique syrienne dans le pays et la structure interne elle-même du PCL, rassemblant tous les pouvoirs entre les mains du bureau politique et du comité central (qui devraient être formés par des personnes différentes) mais qui pouvaient se superposer, causant un grand déséquilibre interne. Je n'ai jamais porté Elias Atallah dans mon coeur et j'en ai toujours voulu à mes camarades du YAD d'avoir accepté son rôle ultérieur de secrétaire du bureau exécutif du YAD.
Heureusement, dans la deuxième moitié des années 90, de nouveaux groupuscules, universitaires cette fois-ci, se sont formés. A l'USJ, très peu de gens se souviennent encore du groupe Tanios Chahine, au nom de ce paysan rebelle qui, en 1858, s'est insurgé contre le féodalisme incestueux avec le Clergé à l'époque (Al Khazen). Si vous cherchez sur google, n'allez surtout pas croire l'histoire racontée sur le site des "De Khazen", c'est de la pure désinformation qui cherche à laver la famille aristocratique de tout reproche (encore heureuse que pas tous les Khazen sont comme ça aujourd'hui). Le groupe Tanios Chahine n'a pas survécu évidemment au campus Huvelin où le portrait de Bachir Gemayel trône (toujours) au RDC de la fac d'économie, posée depuis les années 80 par le Père Sélim Abou éminent anthropologue et fort sympathisant du jeune leader de l'époque.
A l'AUB (Université Américaine de Beyrouth) par contre, plusieurs groupes se sont façonnés et ont donné naissance à des formations plus ou moins efficaces. Des jeunes étudiants de gauche, majoritairement indépendants du PCL, ont ainsi crées No Frontiers, Bila Houdoud (BH). Guidés par un dégoût commun du manque de démocratie au sein du PCL, de la politique pro-syrienne et de la restriction de l'idéologie au léninisme, ces jeunes étaient beaucoup plus actifs que le PCL et le courant dirigé par Atallah. Leurs actions étaient plus faciles à mener : à l'intérieur des universités et propulsées par une indépendance partisane.
Entre la fin des années 90 et 2004, l'activisme estudiantin se renforçait, par tous les côtés. Les collaborations entre groupes, mouvements, et partis politiques s'étaient multipliées, comme de nombreuses occasions de collaboration entre BH et le CPL.
En 2000, un nouveau mouvement de gauche se forme: El minbar el dimokrati (la plate-forme démocratique) comprenant les mêmes préoccupations: le non-alignement à la Syrie, l'importance de la cause nationale (al-kadiya al-wataniya) et la lutte contre la militarisation du régime libanais. Après le retrait israélien et la formation de Qornet Chehwan, rassemblement de personnalités et partis chrétiens (donc -malheureusement donc- de droite) gentiment contre l'occupation syrienne, plusieurs personnes issues du PCL, en collaboration avec des militants de groupes indépendants de gauche (GIG) ont donc formé ce mouvement.
La question de la souveraineté a ensuite été doucement amenée sur le devant de la scène, impliquant les problématiques sociales si chères à la gauche. Peu à peu, les questions sociales et politiques se rejoignaient pour former, enfin, une forme de lutte pour l'indépendance du pays. Ceci différait du chemin emprunté par le CPL, plus grande formation estudiantine de l'époque (à travers toutes les universités), qui ne traitait QUE de la souveraineté et de l'occupation. BH avait réussi, à plusieurs reprises, à intégrer les questions économiques et sociales, ce qui lui a valu une certaine notoriété à gauche. Ce que BH avait surtout réussi, c'est d'avoir convaincu une bonne proportion de personnes de gauche à se rallier à la lutte pour la souveraineté.
Comme le PCL perdait ses adhérents à la vitesse de la lumière, ou les avaient déjà perdus dès 1990, un groupe, appellé "les Etudiants Communistes" a commencé à lancer des actions, indépendamment du courant de Elias Atallah et du bureau politique du PCL. Selon un ancien membre de BH, la plupart des membres des Etudiants Communistes ont été expulsés du PCL à cause de leur activisme (quelle ironie).
Et pourtant, les Etudiants Communistes étaient impliqués, aux côtés des GIG aux réunions parallèles de l'OMC au cours du cycle de Doha, ce qui leur a valu une reconnaissance internationale et leur a par conséquent permis de recruter massivement sympathisants et militants. Ils ont pratiquement dominé la scène gauchiste libanaise au début des années 2000, notamment en 2003. Il convient de signaler le rally "Non à la guerre, non à la dictature" en 2003 lors de la guerre américaine sur l'Irak, contrastant avec d'autres groupes de gauche dans le monde arabe qui brandissaient des portraits de Saddam Hussein.
A cette époque, le YAD n'existait pas encore officiellement, mais tous les groupes qui allaient former le YAD étaient arrivés à l'idée que le moment était opportun pour la création du parti. Des débats innombrables s'organisaient avec une réflexion sur la structuration et l'organisation des efforts fournis.
En effet, l’acte fondateur du parti protège la liberté d’écrire et d’éditer indépendamment l’activité du parti et c’est en ce sens qu’un membre est capable de s’opposer à la politique partisane. De surcroît, une Assemblée Nationale est réunie une fois par mois afin de faire évoluer les axes principaux des activités. Ceci garantit la formation de courants internes qui viseront une meilleure crédibilité au sein de l’opinion publique libanaise, les décisions étant prises par l’ensemble des adhérents et non par les leaders du parti.
En ce qui concerne la pensée gauchiste, l’adhésion au marxisme n’est pas requise pour militer dans les rangs du parti, mais au contraire, un rapprochement est fait avec les divers aspects de l’altermondialisme et même de la sociale-démocratie. Les principes sont : la démocratisation des sociétés, l’indépendance des peuples, les réformes socio-économiques pour renforcer le secteur public, la sécularisation par le dépassement institutionnel du système communautaire en le rejetant dans tous ses aspects.
Et puis il y a eu 2005. L'intifada, l'indépendance, le sit-in, Samir.
Les élections législatives. Et les conneries. Je crois que le déclin du YAD a débuté au moment des élections, avant l'assassinat de Samir, contrairement aux partisans du YAD qui pensent qu'il a débuté en 2006. C'est évident. Il y a même un évènement fort important, qui implique Samir, malheureusement, dans cette erreur qui conduira le YAD à un échec cuisant.
Le 1er juin 2005, la veille de l'attentat, une réunion dans les bureaux du YAD battait son plein et a duré plusieurs heures. Il était question du candidat aux élections législatives, personne d'autre que Elias Atallah et le changement de sa candidature de sa circonscription d'origine à celle du Nord. Etant donné que Walid Joumblatt n'avait pas accepté de l'ajouter à sa liste dans le Chouf, Elias Atallah et donc le YAD, avaient deux choix: soit rester dans la localité d'origine du Chouf mais perdre lamentablement, soit changer de circonscription à la dernière minute, rallier le Nord et la liste Hariri (pour info: le parti du Futur est un parti de droite qui prône le capitalisme sauvage et qui protège le paradis fiscal que représente le Liban). Samir plaidait pour changer la circonscription et le YAD, structure profondément démocratique, a voté pour ce transfert au nord.
Lamentable. Bien sûr il y aura toujours quelqu'un qui m'en veuille après chacun de mes articles, cette fois-ci ça sera les ex-membres du YAD qui pensent toujours que c'était une bonne façon pour assurer un député à leur parti... SAUF QUE, entre 2005 et 2009, Elias Atallah en qualité de député du 14 Mars, de surcroît de gauche, n'a pas su se démarquer et renforcer ce jeune mouvement. Au contraire, il l'a amené à sa perte. Je veux bien qu'il ait discuté du budget de 2005 lors de l'ouverture de la première session parlementaire, mais pour l'amour de la Raison, a-t-il agi comme un député de gauche, à se réserver de se prononcer, sans aucune forme de contestation ? Heik, genre on a un député et on a gagné ! Sans aucune réflexion ou travail de fond concernant le travail parlementaire. Comme si un député de gauche intègre, dont on manque si cruellement au Liban ne pouvait pas travailler sur des réformes et partager ses idées avec l'opinion publique.
En fait, même pas. Et Elias Atallah n'est pas si intègre non plus. Son rôle dans la guerre a été plus d'une fois commenté et critiqué. C'était un porteur d'armes, pour moi c'est une évidence qu'il était loin d'incarner le renouveau que voulait porter le YAD. Quelle connerie en premier lieu pour tous les jeunes qui se sont battus entre 95 et 2004 d'avoir choisi cette personne, au lieu de choisir quelqu'un issu justement de l'activisme estudiantin. Ziad Majed a fait un peu de politique mais a très rapidement déchanté. Domicilié à Paris et vivant une vie tranquille en famille à vendre ce qu'il écrit lui va peut-être plus finalement.
En 2006, le marasme interne a commencé à se répandre. A l'intérieur du YAD, on questionnait souvent les prises de position, l'obligation de tenir la ligne du 14 Mars comme dénominateur commun à toutes les positions. Lorsque la guerre de 2006 a éclaté, on a également choisi de suivre le motto : on critique pas tout de suite le Hezbollah, on le critiquera après la guerre. Sauf que l'opposition interne au bureau exécutif s'est faite sentir, en demandant ouvertement que de nouvelles élections aient lieu.
A l'Assemblée Nationale, l'opposition interne a gagné le tiers des voix, les deux tiers restants allant à Elias Atallah. Mais le problème était loin d'être résolu. Elias Atallah, qui contrôlait la présidence de l'Assemblée nationale, n'appelait plus à la réunion mensuelle, s'écartant donc du règlement intérieur du YAD et entraînant la colère de certains membres. Quelques tentatives d'organiser d'autres élections, notamment du bureau exécutif, n'ont pas abouti (comme quoi, Atallah aurait été un vrai communiste jusqu'au bout). Le comité exécutif de Beyrouth a également été contrôlé par les anti-Atallah, creusant un fossé sans précédent à l'intérieur du parti. D'ailleurs, à la fin de 2007, le YAD a perdu ses bureaux de Corniche Al-Mazeraa, le propriétaire refusant de renouveler le bail... Il a fallu plusieurs mois pour trouver les bureaux de Aïn El Mraisseh, mais comble de l'ironie de l'histoire, ils ont été contrôlés par des forces d'Amal en mai 2008. Il va sans dire qu'après cet incident, de moins en moins de gens se déplaçaient pour aller aux bureaux, surtout que des membres d'Amal n'arrêtaient pas rôder autour (juste pour faire chier et ça a marché).
Vers la fin 2009, Hanna Saleh a finalement appelé à une réunion générale dans laquelle plusieurs demandes ont été formulées par près de la moitié de l'Assemblée Nationale: Le retour au respect du règlement intérieur et donc aux réunions mensuelles de l'assemblée nationale, De nouvelles élections pour Avril 2010 et la reprise en main d'Elias Atallah.Cela aurait dû motiver de nouveau le YAD, mais un seul comité a été formé dans le but de préparer les élections internes de 2010.
L'Assemblée Nationale prévue pour Avril 2010 a été repoussée pour Octobre 2010. Aucune réunion n'a eu lieu depuis début 2010 et plus personne n'a envie de faire des efforts pour améliorer la situation. Seuls quelques personnes regroupées autour d'Elias Atallah continuent d'écrire des communiqués au nom du YAD.
Quel dommage qu'on en arrive là. Le YAD n'a même pas commencé à agir, et il est déjà terni par toutes ces histoires. Un mouvement de gauche comme celui-ci (surtout qu'il n'appartient pas à l'Internationale Socialiste) est par définition innovant, il se doit de se démarquer des positions traditionnelles, il doit forcer l'écoute et le dialogue par les principes qu'il tente d'imposer. Le YAD n'a rien fait de tout ça. En fait il a fait tout le contraire.
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