La crise humanitaire à Gaza s'intensifie de jour en jour, mais cela ne semble guère perturber les habitudes fêtardes de la jeunesse dorée libanaise. De Beyrouth, la blogueuse Marina nous livre ses réflexions sur la joyeuse indifférence de ses jeunes compatriotes.
Ces dernières semaines ont vu l'offensive israélienne la plus violente sur la bande de Gaza. La crise humanitaire est honteuse: manque en pétrole,en matières premières, plus de pain, de médicaments, 4 heures d'électricité par jour... Des pommiers contre des oliviers. Un conflit de plus dans cette région, que les mots sont bien loin de décrire justement. Un conflit de plus, peut-être un conflit de trop, et des centaines de morts innocents.
Mais, dans quelques quartiers de Beyrouth, qui s'en fout?! Le week-end est là, et qui a envie de discuter de guerre et politique un lundi/mardi/mercredi/jeudi/vendredi/samedi/dimanche soir à Gemmaysé? C'est toujours l'occasion d'aller danser, boire, porter de super fringues dignes des plus grandes boîtes de nuit parisiennes, et surtout dépenser le budget minimum hebdomadaire de survie d'une famille à Beyrouth : 50 à 100 $.
Flashback: 2005, les tentes, l'indépendance, les manifs, le rêve. La jeunesse dorée s'est mêlée à la foule, a mûri et s'est développée une certaine conscience politique et surtout, une citoyenneté sans précédent.
Juillet 2006, et la jeunesse dorée se prélassait au soleil et passait des soirées de folies dans la montagne libanaise. Et qui n'a pas vu ces reportages qui en parlaient? Comme une plaie dans un pays qui mourrait déjà sous les bombes, ces jeunes n'ont pas compris l'envergure que pouvait avoir leur envie de passer un bon été malgré toutes les merdes. Il faut quand même avouer qu'ils ont pu aider à leur façon les réfugiés: aide alimentaire, ouverture des écoles de leurs régions, mais généralement, aide financière aux organismes de gestion de crise.
Comme si la guerre se passait dans un autre pays, sur un autre continent, à l'autre bout du monde. Ce manque de patriotisme, pire encore, ce manque de citoyenneté, m'a plongée dans un état de tristesse grave, alors que je faisais ce que je pouvais pour aider des personnes en détresse, quelles que soient leurs origines.
Aujourd'hui, le monde les a moqués, les moquent encore et toujours, avec leurs airs de snobs inconscients des problèmes de leur région et ils s'en foutent toujours.
Parfois, je m'efforce aussi de m'en foutre, lâcher, oublier et vivre comme si je ne voulais même pas savoir ce qui se passe dans mon pays. Les Européens ont du mal à comprendre ce fardeau dans la vie des jeunes du Moyen-Orient. Un insupportable fardeau que d'entendre, tous les jours: explosion, bombe, gouvernement légitime ou légal, nouvelles de merde. Quand tout semble s'effondrer autour de nous... Le ciel qui tombe sur nos têtes...
Comment faire sinon pour vivre malgré le poids des conflits et les guerres? Comment faire pour voter et avoir une opinion politique? Avoir l'opportunité de faire partie de cette jeunesse dorée n'est qu'une porte de sortie facile au dilemme existentiel qui frappe la jeunesse libanaise.
S'en foutre, pour RESPIRER.... Parce que les moins chanceux devront rester dans leurs carcans respectifs et ne jamais pouvoir en sortir... D'autres se dirigeront vers d'autres pays pour ne jamais revenir s'installer ici... Les fils des politiciens seront des politiciens, et les grandes puissances de la région vont inlassablement continuer de décider de notre sort.
Comme nos parents, ex-jeunesse dorée de 1975, qui ont survécu à 15 ans de guerre, je suis sûre que mes compatriotes de ma génération pourront survivre à autant de violences en se coupant de cette réalité, en skiant avant des élections législatives compromettantes, en nageant dans ces piscines tout près de la mer Noire souillée par les bombardements israéliens de 2006, en allant ouvrir des bouteilles de champagne dans la montagne alors que des milliers manquent d'eau.
C'est comme ça.
Cette échappatoire, consciente ou pas, fait partie de l'équilibre psychologique de tout un peuple. Appelez ce peuple à votre façon: névrosé, insensible, guerrier, têtu, ou juste aimant la vie.
La jeunesse dorée s'enfuit de tout sentiment qui puisse la relier à sa mémoire collective de guerre, mort, et de politique négative. Elle regardera les violences des universités locales d'un ton hautain en se demandant où sortir ce soir. Elle verra les élections et se permettera de montrer qu'elle est impliquée et qu'elle a toujours raison. En temps de conflits, elle s'éclipsera et formera un cocon protégé de partout où tout sera possible, sauf vivre le désespoir et la désillusion. Elle constituera une bulle d'oxygène dans un pays bai*é de partout. Quant aux conflits dans d'autres pays de la région, on peut rêver qu'elle ait envie de savoir combien de gens souffrent. Elle pourra être répugnante, dégoûtante, par son non-engagement elle fera du mal à des réfugiés qui pourront avoir besoin d'elle, mais elle ne dira jamais non si on réussit à la percer.
Personne ne peut s'attendre à plus de la jeunesse dorée, et personne ne peut lui reprocher d'être ce qu'elle est.