Le titre de ce post existe déjà depuis plusieurs mois. La saga de la critique des partis libanais se poursuit donc, tant bien que mal et avec un rythme malheureusement irrégulier à travers ce blog. Après avoir passé en revue l'histoire du parti Kataeb, penchons-nous vers notre résistance, vis-à-vis de laquelle mon opinion a bien oscillé avant de se stabiliser (et encore!)...
Lorsque j'ai commencé à acquérir une conscience politique, en 2002-2003, le Hezb était pour moi un inconnu, un étranger, un ennemi. Vivant dans un enclos se traduisant par le triangle Achrafiyeh-Hazmiyeh-Badaro, je n'avais aucun sens de l'importance du parti dans les affaires internes et externes du pays. De toutes façons à cette époque-là, la Syrie menait toutes les décisions au Liban donc cela ne m'avançait pas forcément de connaître un bras supplémentaire à cette politique d'occupation.
Le 2 septembre 2004, j'étais déjà membre d'un groupe politique, à peine sorti de la clandestinité, le CPL, dans lequel on menait nos premières actions sans être tabassés et arrêtés (bien que cela se soit poursuivi... jusqu'à la fin 2004, sic!). Cette date correspond au vote au conseil de sécurité de l'ONU de la résolution 1559, qui comportait 4 points importants (retrait des troupes syriennes et israéliennes, désarmement des milices non-libanaises et libanaises, respect de la souveraineté libanaise et élections présidentielles transparentes et sans pression syrienne). Ce soir-là, je sillonais les routes de Beyrouth à bord d'un convoi de jeunes euphoriques scandant l'application de la résolution 1559.
1559 a été notre espoir, notre rêve, pendant des mois. Nous ne parlons que de 1559, réitérons ce chiffre, 1559, comme si c'était le code du Liban à la liberté. [Michel Aoun s'était également exprimé face au congrès US un peu plus tôt en 2003 afin de pousser vers l'adoption du fameux "Syrian Accountability Act and Lebanese Restoration of Sovreignty Act".]
Ah quelle 1559, comment a-t-elle fait chavirer les coeurs des libanais!! Pour l'anecdote de l'histoire, le 22 novembre 2004, alors que nous étions quelques centaines à manifester, Place du Musée pour l'indépendance du pays, portant évidemment des affiches de la 1559, les FL nous font savoir que des PSP de l'AUB voulaient nous rejoindre, à condition de faire disparaître ces affiches. Ironie de l'histoire, les opinions des dirigeants se sont inversées, et DEUX FOIS déjà pour Joumblatt. Evidemment nous n'avions pas suivi la volonté kataëbienne de baisser notre ---- juste pour qu'on soit plus nombreux, alors que les autres étudiants n'avaient pas encore subi le dixième de ce qu'on avait déjà subi...
Bref, le mouvement s'en est allé en crescendo. Le rassemblement du Bristol, bien qu'il ait été un point non négligeable du rassemblement de dizaines de personnalités libanaises, a cueilli quelque part les fruits du travail des centaines de jeunes pendant des années par leurs manifestations, actions interdites, arrestations, disparitions et même assassinats... C'est pour ça aussi que le 14 mars 2005 m'a semblé comme un déjà-vu....
Je crois que je n'ai jamais autant détesté le Hezb qu'au 8 mars 2005. Avec son Choukwan Souwiya et Loubnan layssa Ukwamiya, le Sayyed me paraissait plus syrien que libanais, c'était le seul bémol à notre rassemblement à la Place des Martyrs, car ce dernier, quoi qu'on dise, n'était pas vraiment fédérateur de tous les libanais. Notre camp était manquant, et ce n'est pas vrai qu'il ait porté les objectifs de tous les libanais.
On voulait chasser la Syrie qui nous a pillé et tué pendant des décennies, et lui la remerciait!!! Je ne comprends toujours pas pourquoi on remercierait un pays qui nous a occupé et qui a bien profité de son occupation.
La guerre de 2006 a été déterminante dans la construction de ma propre opinion concernant le Hezb. C'était bien la première fois que je le voyais en action. Sa force et sa détermination m'ont impressionné. Lorsqu'on est libanais, on ne peut pas ne pas soutenir la volonté de se défendre et de tenir tête, de guérilla à 4ème armée la plus importante du monde. Bien que les conséquences de la guerre aient été désastreuses, avec plus de 1200 morts et des milliards de dollars de pertes, sans compter tous les ponts du Liban qui ont été fracassés, le fait que l'armée israélienne soit rentrée chez elle sans avoir accompli aucun de ses objectifs constitue en soi une victoire morale pour le Liban.
Mon blog s'était bien étoffé à cette époque. A part quelques heures que je passais à la Croix Rouge de Furn El Chebback, je n'avais pas grand chose à faire. Comme tout le monde, je restais à la maison, à boire des Almaza et à fumer des cigarettes pour la première fois devant mon père, à regarder la télé qui braquait toutes leurs caméras 24/24 sur la banlieue sud... Je m'asseyais au balcon en regardant, à quelques minutes à vol d'oiseau cette banlieue sud, les bombardements bien calculés, toutes les 7 minutes, de 2h du matin à 7h, et on parle de guerre psychologique. La barbarie et le terrorisme israélien sont aujourd'hui pour moi une évidence. Et je suis encore prête à en discuter avec ceux qui vont s'insurger contre ma phrase.
Les déplacés et la gestion des lieux aménagés à leur égard m'ont aussi impressionné. Tous en communion avec la résistance, en communion complète avec le Sayyed, ce grand frère bienveillant qui nous donne déjà des écoles, des hôpitaux, des appartements dans des immeubles tous neufs... Concernant la gestion et le contrôle des écoles publiques aménagées, j'ai reçu l'écho d'un ami voulant organiser des activités pour enfants dans une école de Beyrouth. L'homme (du Hezb) en charge de garder la cohésion du groupe présent dans cette école lui a tout simplement interdit les apprentissages de danses et de chants, prétextant qu'en situation de guerre, on ne chante pas, et on ne danse pas.
Plus tôt, le Hezb avait signé avec le CPL un document d'entente. 10 points qui résument, à mon sens, certaines priorités actuelles du pays, mais pas toutes évidemment. Ce sont dix points cruciaux qui tiennent compte de la sécurité, de la construction de l'Etat, de la démocratie consensuelle, des disparus de guerre etc. J'aurais préféré qu'ils se mettent d'accord sur la volonté de réformer l'éducation nationale, de réformer le système de sécurité sociale... Aujourd'hui, quel point a-t-il été traité complètement? Aucun. La vraie valeur ajoutée de ce document a été l'ouverture d'un dialogue avec le Hezb et de couper son isolement avec le reste des libanais... Si cet isolement se serait poursuivi, tout nous pousse à croire que cela se serait vraiment mal terminé, à plusieurs reprises.
En mai 2008, c'est une mini-crise qui éclate au Liban et qui fera une cinquantaine de morts. Walid Joumblatt, à cette époque farouchement opposé au "singe" de Damas et au Hezb, pousse le gouvernement à décréter le changement du directeur de sécurité à l'aéroport ainsi que le démantèlement du réseau de télécommunication du Hezb. Evidemment, dans tout contexte de guerre et de résistance, les télécoms sont la clé de tout, stratégie, planification, ordres urgents, passation d'information etc. J'étais et je reste résolument contre ce décret et surtout de la façon avec laquelle il a été mené. En revanche, je suis tout autant contre la réaction sur le terrain, à la fois des blocs contre et pour cette décision. Voir des jeunes de Akkar venir à Beyrouth (sans connaître la ville) avec des armes, juste pour pouvoir "tuer des chiites", ça fait vraiment mal au coeur quand ça fait 6 mois qu'on travaille sur la citoyenneté avec ces jeunes-là... J'avais écris à ce propos. Aller au travail le 7 mai 2008 à 8h15 et ne pas pouvoir revenir à peine 30 minutes plus tard sans traverser l'avenue de Sami El Solh en sens interdit, ça fait carrément pleurer...
Le directeur de la sécurité de l'aéroport a présenté sa démission il y a un mois et demi à cause d'une personne qui s'était infiltrée dans l'aéroport et qui est morte car s'est accrochée sur les pneus d'un avion à destination de Riyad. Quel paradoxe de voir Walid Joumblatt en train de le soutenir et lui demander de ne pas démissionner.... Je pense que sa démission n'a pas été acceptée par le gouvernement... Passons...
En décembre 2009, un nouveau manifeste est publié, dans lequel on réaffirme l'attachement le plus total au Liban pluriel, libre et multi-confessionnel. Israël est évidemment l'objectif premier du manifeste, et la lutte la plus acharnée est décrétée au cas où Israël tenterait de déstabiliser le Liban. Ce document, que je crois sincère, définit aujourd'hui le Hezb. L'autre côté de la médaille, c'est s'ils commencent à se comporter comme une majorité démographique protégeant elle-même les autres minorités, sunnnites et chrétiens en l'occurence et de rester sous l'emprise du Wilayet El Fakih, qui ne l'oublions pas, n'est pas libanais mais iranien (Pensons au grand ayatollah Mohammed Hussein Fadlallah qui a voulu créer un Wilayet El Fakih au Liban, ce qui aurait été mieux -?- que de rester sous tutelle iranienne. Mais à cause de cette idée, il s'est brouillé avec Khaminai, nous savons qu'il s'en est suivi des Fatwas de plus en plus ouvertes et progressistes).
Aujourd'hui, une nouvelle secoue le pays. La possibilité que certains membres du Hezbollah soient désignés comme suspects dans l'enquête internationale concernant l'assassinat de l'ancien premier ministre, Rafic Hariri. Le Sayyed nous a bien tenus en haleine à travers deux conférences de presse, ces deux dernières semaines. Tout ça pour nous montrer des images prises par des drônes israéliens qui contrôlaient les routes sillonnées par le convoi Hariri, depuis 1996 et même le jour de l'assassinat.
Tout d'abord, l'exploit de suivre les caméras des drônes est certainement très révélateur de la force de la technologie entre les mains du Hezb. Et il a eu raison de dire que s'il avait montré ces photos plus tôt, on lui aurait rétorqué qu'il le fait simplement pour prouver l'innocence de la Syrie (parce que pendant 4 ans, c'était bien l'assassinat Syrien qui était sur toutes les bouches).
D'ailleurs, quelle mascarade d'avoir retrouvé la dizaine de ministres libanais à Damas il y a un mois en train de signer les mêmes accords de coopération que leurs blocs avaient qualifiés de "mise sous tutelle". C'était même rigolo d'écouter ce jeune ministre (c'est pas de ma faute qu'il soit Kataëb) en train de faire l'éloge des relations syro-libanaises. Avec sa consoeur syrienne, il s'en est pris d'un romantisme !!! "Oh vous savez ce genre de crises, ça arrive! Et puis, nous sommes là, et les syriens sont nos voisins, on ne peut vraiment pas vivre sans eux!" ... Et puis ------------ si seulement t'avais eu cette évidence dans ta tête pendant 4 ans où tout le monde a pris le Liban à la dérive...
Le tribunal international a prouvé à maintes reprises sa politisation et son manque de crédibilité et d'efficacité. Tout se joue selon un agenda occidental précis. Personne ne sait où se trouve Al Siddik, pourtant sous la responsabilité des renseignements français, qui a disparu aux Emirats Arabes Unis il y a quelques temps tenant un passeport hongrois. Al Siddik, rappelons-le, était un faux témoin dans l'affaire. Payé, très bien payé, par un inconnu, il a raconté des bobards aux juges internationaux sur l'implication directe du régime syrien. Genre il avait vu la camionnette Mitsubishi entrer dans un camp militaire syrien et être rempli d'explosifs. Il avait aussi dit que le suicidaire était un irakien à qui on (les syriens) avait fait croire que c'était Iyad Allawi dans la voiture (et pas Rafic Hariri). Il y a eu de nombreux faux témoins. Et pendant 5 ans, l'opinion publique libanaise a subi des propagandes dignes de la guerre civile.
Pourquoi croirait-on le tribunal s'il suspecte officiellement des membres du Hezb? Tout porte à croire qu'il s'agit de la plus grande manipulation étrangère qui puisse exister dans la région. Alors, en tant que libanais, n'est-il pas de notre devoir de ne pas vendre nos concitoyens pour un tribunal marionnette? Hariri lui-même ne semble plus si pressé à connaître la vérité .... Mais la question la plus importante réside dans les preuves dont dispose le tribunal pour suspecter des personnes précises. En 5 ans, toutes les preuves apportées par les rapports Mehlis, Brammertz et Bellmart ont été discréditées : les faux témoins, l'identification du suicidaire (qu'on a prétendu être un saoudien à un moment), les appels téléphoniques (possibilité d'être largement truqués par Alpha connaissant sa porosité face aux espions et corrompus en tous genres)...
Rien ne tient debout dans cette enquête, et on cherche encore à diviser les libanais. Il suffit de voir le manque de communication avec l'opinion publique pour se rendre compte de la fragilité de ce tribunal! Et puis encore, où en est l'enquête FRANCAISE de l'assassinat de Samir Kassir, lui-même de nationalité française? Il me semblait pourtant que Gisèle était déterminée à y travailler avec Maïtre William Bourdon, avocat des oppressés et des nantis du tiers monde (il est aussi l'avocat des Kadhafi)...
Enfin, en ce qui concerne le Hezb, en tant que patriote, il faut chercher à trouver une solution à la stratégie défensive commune avec l'armée libanaise parce que je crois en la résistance. En tant qu'amateur en sociologie, j'ai peur pour la communauté chiite dans laquelle on a déjà imposé un rythme de vie différent de celui des années 60 et 70. Le Tchador, les rassemblements ultra-géants (revoir la psychologie des foules), l'interdiction d'alcool dans des villages au Sud, qui poussent les jeunes à aller s'en procurer dans les villages chrétiens (ce qui n'est pas si mal puisqu'on réussit à contourner l'interdiction), toutes ces choses-là qui ne sont pas dans notre culture mais qu'on croise de plus en plus souvent... Le manque de nouveautés culturelles, d'innovation intellectuelle, c'est pour moi le plus gros point noir qu'on subit dans la communauté chiite et partout ailleurs au Liban.
Je garde espoir tout de même, qu'un jour tous les libanais s'accorderont sur des priorités nationales et commenceront à y travailler l'une après l'autre. Mais nous laissera-t-on faire ??? (la réponse est non.)